samedi 27 avril 2024
C’était un samedi soir sur la terre. La lune, prenant son quart, avait cru bon de tirer un large rideau de pluie sur la ville. Mais Nico, aka la pierre angulaire du Croque and Roll Live !, n’est pas en sucre, et ses efforts pour braver les intempéries seraient largement récompensés car ce samedi 27 avril sur la scène du Bataclan, il allait trouver le soleil.
Retour en images et en mots sur 2h d’un concert plein de surprises. Il est joliment inauguré par la musique métissée de la jeune chanteuse franco-brésilienne Luiza. De sa voix suave et légère, elle groove avec un naturel et une joie manifestes, toutes fossettes creusées. De quoi bien ouvrir nos chakras pour la suite.
LADANIVA… késako ? Ainsi se nomme le tandem franco-arménien né à Lille en 2019, composé de la chanteuse-autrice-compositrice Jaklin Baghdasaryan et du multi-instrumentiste Louis Thomas. A travers ce nom rendant hommage à l’increvable 4×4 russe, c’est à un voyage nomade et tout terrain que nous convie ce duo cosmopolite. Sur scène, la calandre d’une voiture nous fait face. Deux phares mettent pleins feux sur Louis qui, penché sur sa trompette, est le premier à faire entendre son timbre. Dans la chaleur du son produit par le jazzman touche-à-tout, le sextet se met progressivement en place avec Pierre Kastler à la batterie, Louis Desseigne à la guitare, Romain Desremeaux au saxophone, Ninon Thomas au clavier et enfin arrive Jaklin, dont la voix lumineuse rayonne au cœur de cette joyeuse constellation.
« On est tellement heureux d’être là ! », balance Jaklin avec un généreux sourire et une énergie qui fait virevolter de droite à gauche sa longue natte couleur merle moqueur.
« Faites du bruit pour le morceau qui nous a ouvert toutes les portes ! » Un morceau dont le clip a très vite atteint des millions de vues, projetant le groupe dans son ascension vers le firmament. Ce morceau, c’est Kef Chilini qui raconte l’histoire de quelqu’un qui, à l’inverse de Jaklin, ne sait pas danser. Enfin à ce qu’il paraît, hein, parce que nous, on ne parle pas arménien. Et on ne sait pas vraiment danser non plus, mais ça c’est une autre histoire.
Avec elle, nous sautons allègrement les frontières vers l’Orient à l’écoute de cette pop arménienne (Zepyuri Nman) mâtinée d’accents balkaniques (Vay Aman…). Ladaniva brasse plus large encore, dans une fusion qui s’inspire aussi du flamenco comme du fado, se colore de vibrations glanées dans le maloya réunionnais, le hip-hop, le reggae (Ne Do Sna)…
Jaklin fait rouler les grandes billes noires de ses yeux mutins côté jardin pour accueillir le grand, le doux Voyou, « un ami qui nous a soutenus dès le début« . Sa trompette à la main, l’artiste nantais vient jouer d’un air débonnaire un morceau qu’ils ont fait ensemble pour son dernier album : Malika, portrait d’une femme envoûtante portant sa liberté en étendard.
Comme Jaklin, on dirait. Autour de nous, le public n’a qu’une envie, c’est de chanter avec elle, et d’ailleurs il ne s’en prive pas. Derrière le son des cuivres et les « wouho wouhooo » des voix qui s’unissent émerge le délicat pépiement d’oiseaux, annonciateurs de renouveau. « Coucou, coucou ? » lance Jaklin, guettant l’écho mélodieux de sa voix cristalline.
Et ce sont les sons de son pays natal qui reviennent en boomerang. « On est rentrés d’Arménie hier, pleins de soleil et d’énergie ; je pense que vous allez l’entendre. » Louis troque la trompette pour une flûte traditionnelle : le shevi. Romain se met au duduk et côté cordes, la guitare laisse sa place à un saz. Moment de grâce, temps suspendu. Jaklin s’est agenouillée pour écouter religieusement les soli plus nostalgiques qui la ramènent sur les flancs de l’Ararat et nous parlent de son pays. Avec son morceau Manoushak qui sonne comme une prière, elle porte loin son regard, au-dessus des lignes de crête, et prête sa voix à ceux qui sont entravés, à qui elle veut donner de l’espoir.
Jaklin a de l’énergie à revendre. « Je vais tester une chanson ce soir, allez, lààà !« . Et elle se lance, dans un regard de velours en direction de Louis : « Je t’aime tellement, et crois-moi, cela risque de durer longtemps« . Le public, déjà conquis, achève de se liquéfier quand la voix de l’aimé vient se mêler à la sienne.
Ce soir nous rappelle finalement nos lointaines épopées en auto-stop. Tu ne sais jamais dans quelle voiture tu montes, mais tu cours toujours le risque de faire de bonnes rencontres.
Maintenant qu’on a embarqués dans le véhicule de LADANIVA, on peut dire qu’on s’y sent bien. D’ailleurs, on a vite compris à quoi ils roulent : c’est l’amour qui coule généreusement dans le cœur du moteur de LADANIVA, le meilleur des carburants.
Et c’est reparti pour un nouveau titre qui commence comme ça : « Au-delà de nos montagnes, à des milliers de kilomètres, j’ai trouvé une maison ». « Mais oui, on est tellement sur la route que notre maison, c’est vous ! » Et comme les zicos sur scène, on en vient à lever nos bras pour faire un toit au-dessus de nos têtes.
On commence à piger aussi que la maison de LADANIVA est à géométrie variable et c’est ainsi que Luiza et les copains de la première partie reviennent sur scène pour jouer Pourquoi t’as fait ça ?. Parce que maintenant, Jaklin compose aussi en français. Comme pour Je voulais, où l’on découvre, si l’on en doutait encore qu’avec elle, ce n’est pas le bonhomme qui pilote. « Laisse-moi décider, je sais où aller ». Et avec son regard volontaire, elle prend le volant pour encore quelques virages avant la fin du voyage.
Jako, c’est le morceau avec lequel LADANIVA représentera l’Arménie à l’Eurovision dans quelques jours. Et à celui qui oserait lui dire : « Tais-toi, reste tranquille un moment », Jaklin répondrait en chantant haut et fort : « Je suis une fille libre ! »
Et on a pu témoigner ce soir-là que la diaspora arménienne vibre à l’unisson avec elle. On gardera un souvenir bien vivant de celle qui a, entre temps, enlevé ses chaussures et ses chaussettes pour le rappel, car où règne la musique, là est sa maison.
Je laisse le mot de la fin à un petit garçon qui, jetant un œil au carnet de croquis de Nico à la fin du concert, lui adresse ce modeste compliment : « C’est les plus beaux dessins du monde ! »
Allez, MERDE pour l’Eurovision !
Texte : Romane DARGENT /// Croquis : Nicolas BARBERON